#Metoo, cinq ans après. Avec Marine Combe, Emma Baudoin et Morgane Soularue
« Si toutes les femmes qui ont été harcelées ou agressées sexuellement écrivent « Moi Aussi » dans leur statut sur les réseaux sociaux, nous pourrions donner aux gens une idée de l’ampleur du problème ». Cette publication date du 15 octobre 2017, on la doit à une actrice américaine pour faire écho à un article paru dans le New York Times quelques jours plus tôt et qui dénonçait les agissements d’un producteur de cinéma alors totalement inconnu du grand public et qui deviendra l’un des plus grands prédateurs sexuels jamais connu.
Ainsi naissait le mouvement Me Too.
Un mouvement qui va prendre une telle ampleur qu’on parlera de raz de marée, d’électrochoc, de révolution féministe.
Le monde découvrait alors, oh stupeur ! que les violences sexuelles et sexistes contre les femmes sont un problème systémique dans nos sociétés où la culture du viol est une norme édictée par ceux qui en profitent, les dominants, les hommes et une fatalité pour celles qui en sont les victimes, soumises, les femmes.
C’était il y a cinq ans exactement.
A l’origine, il s’agissait de dénoncer les crimes sexuels, les viols et les agressions sexuelles, de balancer un système millénaire qui a fait de la femme un objet. Mais pas n’importe quel objet, un objet idiot, sans jugeote, un objet trop sentimental, un objet dévoué et obéissant, un objet à disposition. Un objet chez lequel il est inné de savoir cuisiner et changer une couche. Un objet à silencier. Qui n’a ni désir ni volonté.
Et quand, par le passé, l’objet a voulu devenir sujet pensant, intelligent et revendiquant, alors on disait qu’il était fou, hystérique, mal baisé, dangereux. Dangereux parce qu’il allait remettre en cause des siècles de domination, tout un monde de privilèges masculins. Il était hors de question de l’écouter, de l’entendre, de le croire, de donner une once de crédibilité à ce qu’il pensait et ressentait.
Mais quand des milliers voire des millions de femmes-objets se sont mises à parler de la même chose en même temps, à dire ensemble très fort : j’ai été violée, j’ai été agressée, j’ai été humiliée, discriminée, et il faut que ça cesse, immédiatement, et que les coupables soient punis. Bah, ça a fini par faire du bruit, un bruit qu’on ne pouvait plus faire semblant de ne pas entendre, qu’on ne pouvait plus couvrir en parlant plus fort.
Voilà de quoi il s’agissait. De dire stop à un système millénaire où les corps des femmes étaient à la disposition des hommes. De passer d’objet à sujet.
Il n’a pas été simple de parler, et il ne l’est toujours pas, l’ouvrir c’est prendre le risque de voir sa vie se compliquer grandement. Comme le dit Hélène Devynck, victime de PPDA et autrice du livre « Impunité », parler c’est subir un déferlement d’emmerdes. Une victime qui ose parler est immédiatement discréditée, par tous les moyens possibles, elle est harcelée, menacée, mises à l’écart.
Prendre la parole est en effet violent après ce long silence. Ce très très long silence.
En fait, il ne s’agit pas de silence, ça serait trop simple. Le silence c’est volontaire. Là, il s’agit de silenciation. On a interdit aux femmes et aux filles de parler, et surtout de se plaindre de quoi que ce soit. Et cette silenciation des femmes et notamment des femmes victimes s’est toujours accompagnée de honte et de culpabilité. On nous a fait croire que ce qui nous arrivait était de notre faute.
Mais on a parlé et cette parole libérée c’était aussi vouloir changer de paradigme. Changer la face du monde, ses valeurs et ses principes. Passer de « il faut protéger nos filles », ce en quoi nous avons largement échoué, à il faut « éduquer nos garçons ! ». Libérer cette parole, c’était dénoncer, certes, mais aussi révoquer un système, le système patriarcal, dans lequel les hommes dominent les femmes, dans lequel le contrôle des corps des femmes par les hommes est une norme intégrée et jamais remise en cause, un système dans lequel on a fait de nos « non » des oui, en arguant que nous n’avons pas de désir, ou alors si peu quand les hommes, eux, ont des besoins, qu’on doit assouvir, c’est notre rôle. Un monde dans lequel un « t’es bonne salope » est un compliment. Un monde dans lequel une main aux fesses, des propos graveleux, un baiser volé, ce n’est rien d’autre que de la « séduction » ou de « l’humour ».
Alors oui, malgré toutes les manœuvres de certains et certaines pour discréditer ce mouvement, Me Too a changé la face du monde. Et si aujourd’hui un mec a peur de se retrouver seul dans un ascenseur avec une femme c’est tant mieux, parce que pendant trop longtemps ce fut la femme qui a eu peur d’être seule dans un ascenseur avec un homme.
La prise de conscience permise par Me Too elle est d’abord du côté des femmes, des femmes entre elles, elle a en effet renforcé la sororité, devenue aujourd’hui très puissante. D’ailleurs, Me Too n’a pas 5 ans, Me Too a 15 ans et on le doit à la militante afro-américaine, Tarana Burke qui, en réponse à une enfant noire victime de viol venue auprès d’elle chercher du soutien et du réconfort, lui a dit : « Me Too », Moi aussi, comme un cri de ralliement, un énorme élan de sororité.
On était et on est donc plus fortes ensemble, se soutenant, pour parler. On a donc parlé et on s’est souvent pris des portes dans la gueule, voire pire. Des hommes se sont posé en victime d’un tribunal médiatique, ont évoqué une chasse aux sorcières et on dit qu’on était l’inquisition. Ils ont dit et ils disent qu’on ne laisse pas faire la justice, qu’on détruit des hommes en jetant leurs noms en pâture. Mais quand en France, une femme est violée toutes les 7 minutes, que les féminicides ont augmenté de 20 % cette dernière année, que seulement 0,6 % des violeurs sont condamnés pénalement pour leurs crimes, que 73 % des plaintes pour agressions sexuelles sont classées sans suite selon les chiffres du Ministère de la Justice, et que pendant ce temps là, justement, le ministre de la justice nous traite de « folasses », comment peut-on croire que la justice va se saisir du problème et changer les choses ? La présidente de la Fondation des Femmes, Anne-Cécile Mailfert, dénonçait il y a quelques jours que « Le viol est le crime le plus impuni qui soit en France et la justice est incapable de rendre justice aux femmes. L’incapacité de la justice et surtout le manque de volonté, les freins du ministre de la Justice actuel qui ne souhaite pas ouvrir le chantier de la lutte contre l’impunité ». Les défaillances des institutions sont telles qu’au gouvernement et à l’Assemblée Nationale il y a eu et il y a encore des Nicolas Hulot, Gérald Darmanin, Eric Dupont-Moretti, Damien Abad, Jérôme Peyrat, Benjamin Griveaux, Benoït Simian, Stanilas Guérini, pour ne citer qu’eux. Des hommes qui se protègent et se défendent les uns les autres, se reçoivent dans des bureaux, sur des plateaux télés, d’homme à homme, s’envoient des twitt pour souligner leur courage et leur dignité. De l’entre-couilles blanches qui veut bien que la parole des femmes se libèrent sans conséquences, sans que ça ne change rien au monde qu’ils ont construit pour eux, rien que pour eux.
On a libéré la parole mais on a aussi immédiatement demandé aux femmes qui parlaient de prouver qu’elles étaient de bonnes victimes. Tu avais bu ? Tu étais habillé comment ? Tu étais encore dehors à minuit passé ? Tu as accepté de monter chez lui ? Tu m’avais dit qu’il te plaisait ! T’es sûre de toi là, parce que tu vas détruire sa vie si tu l’accuse de viol ! Pense à sa famille !
Il n’est pas simple de lutter contre une culture du viol ancestrale, des violences systémiques intégrées par toute une société. Le vieux monde s’accroche à ses privilèges et nous devrions nous taire pour ne pas trop l’embêter. Bah non.
La parole des femmes s’est libérée, malgré toutes les entraves et les embuches et elle ébranle le vieux monde, elle égratigne les privilèges de ses mâles dominants, seuls détenteurs de l’ordre ancien prêts à tout pour que rien ne bouge. Dernier de leur argument bâillon, Ils ont brandi la présomption d’innocence comme ultime bouée de sauvetage. Plaçant cette fameuse présomption d’innocence au-dessus de tout et notamment de la protection des femmes. Les laissant elles avec la prescription, les classements sans suite autres non lieu. Pire, ils sèment le doute, manipulent les esprits et renvoient à la face des victimes une présomption de culpabilité, ce sont elles les menteuses avides de vengeance. Jamais pour d’autres crimes et d’autres affaires, la présomption d’innocence est ainsi brandie comme un totem d’immunité. Il n’y a que dans les affaires de violences sexuelles et sexistes. Ca interroge.
Mais, on le savait tout cela, on savait qu’on allait se manger un bon gros retour de bâton dans la gueule. Le fameux Back Lash si bien décrit par Susan Faludi dans son ouvrage « Backlash, la guerre froide contre les femmes » publié en 1991, dans lequel elle démontre que toute avancée féministe n’est jamais acquise, que l’on doit toujours rester sur le «qui vive », vigilantes et prêtes à repartir se battre pour des droits simples. Dès que l’on se manifeste un peu trop, que l’on obtient un truc, une avancée, la société se venge. Susan Faludi explique que les media ont systématique remis en cause les avancées féministes en évoquant d’éventuels (et faux) effets négatifs de ces avancées sur les femmes et sur la société toute entière.
Preuve en est, après Me Too, né aux Etats Unis, l’annulation en juin dernier par la Cour Suprême de l’arrêt qui autorisait l’IVG aux Etats-Unis.
Que retenir ? Que la route est encore longue et sera encore semée d’embuches mais que Me Too a irrémédiablement changé la donne.
Que le temps médiatique n’est pas le temps de la justice qui n’est lui-même pas le temps qu’il faut aux mentalités pour changer tant elles sont enlisées dans un monde patriarcal où la culture du viol et la silenciation des femmes sont la norme.
Qu’il faut rester vigilantes, que rien n’est jamais acquis pour les femmes.